Les chants de nostalgie et de tristesse des Ayoreo du Chaco Boréal Paraguayen
Dans cette thèse, j'ai abordé les chants de nostalgie d'amour et de tristesse des Ayoreo du Chaco paraguayen autant du point de vue de l'ethnographie du discours que de l'ethnographie de l'intimité, dans le but de montrer que le discours n'est pas illustratif, mais constitutif du social. M'appuyant sur les théories ayoreo du discours, j'ai exploré les modalités diverses de l'agentivité des mots. La parole puissante -- formules de guérison et mythes -- achève son efficacité par le biais d'un métadiscours, tandis que la parole « profane » -- non associée au chamanisme, ni aux temps premiers -- a des effets plus subtils, mais très nets sur la vie sociale, notamment à travers les chants de tristesse et de nostalgie d'amour. L'étude attentive du vocabulaire des émotions m'a permis d'établir que l'idée de nostalgie -- jnusietigai -- joue un rôle d'opérateur social à plusieurs niveaux. Chez les Ayoreo, tout événement est susceptible de devenir une composition chantée. En fait, plus de sept catégories de chants constituent des dispositifs lyriques qui permettent de créer un répertoire d'anecdotes. Ces anecdotes constituent par addition une référence, un point de repère des comportements par le biais de l'exemplification. Le discours est alors une pratique interprétative qui donne forme aux événements sociaux quotidiens par le biais de l'entextualisation et qui conditionne ainsi les événements postérieurs. Les chants, interprétés et entendus tous les soirs, établissent une esthétique de la nostalgie qui est en même temps une éthique sociale de la convivialité. Les valeurs sociales sont exacerbées et celles antisociales condamnées à travers le prisme de l'affectivité.