Vers 1850, Wagner définit la poétique du «drame musical» en opposition à l'esthétique du grand opéra. Il le fait au nom du programme idéaliste d'une «nouvelle mythologie» (Schelling), et il invente un mythe du Verbe absolu, une esthétique de l'indicible. Entre le romantisme allemand et le symbolisme, Wagner, entendu par Baudelaire, Nerval, Gautier, Champfleury, trace un pont. Mais l'opéra symboliste naît aussi contre la prétention wagnérienne à identifier le concept de l'Art avec la diversité des arts. C'est au plus proche de Wagner (Chausson), ou dans l'éloignement le plus croissant (Debussy), que l'opéra cherche à atteindre un contenu de vérité encore inouï, qui ne soit ni rédemption ni conciliation lyrique. L'opéra symboliste - «opéra littéraire»,pour autant que Mallarmé définit la littérature - fait de la musique l'agent d'une défiguration de la représentation. L'opéra expressionniste de Schreker, Berg, Schönberg, est l'héritier du symbolisme, car il révèle l'envers discordant des choses, l'universalité tragique qui traverse les destins singuliers. Cependant, le geste expressionniste rend aux circonstances réelles toute leur importance. Le mystère s'y déploie non pas seulement dans une expérience symbolique, mais dans l'existence du personnage. Schönberg, dans Moïse et Aaron portera cette logique de la prose à son extrême conséquence : le refus de toute incarnation théâtrale et de toute expressivité, en inventant l'opéra non-lyrique. Oeuvre anti-idéaliste, cet opéra nie toute subjectivité poétique, lyrique et dramatique, en confiant au choeur la voix neutre de l'Indicible.
Book Details
- Country: US
- Published: 2006
- Publisher: Atelier national de reproduction des thèses
- Language: fr
- Pages: 532
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